Le Parfum de la Dame en Noir
Le cimetière du château, Nice
On se croirait en Italie, au cimetière monumental de Gênes, ou de Turin. Mais on est à Nice, sur la Colline du Château. Une visite s’impose.
Ce cimetière a été créé à partir de 1783 à l’emplacement de l’ancienne citadelle, après que le roi de Sardaigne, Victor-Amédée III, a interdit d’inhumer les défunts dans les églises du royaume. C’est un cimetière catholique, protestant, orthodoxe et juif, qui contient environ 2.800 tombes sur près d’un hectare et demi.
À l’extérieur du carré juif, inauguré par le couple Beate et Serge Klarsfeld en 2020, le mur des déportés juifs depuis les gares de Nice vers les camps de la mort, c’est son titre, mentionne les noms, prénoms, noms de jeune fille, âge et lieu de naissance des 3.602 juifs des Alpes-Maritimes et de Monaco qui furent déportés vers les camps d’extermination nazis.
René Goscinny, l’un des pères d’Asterix, décédé en 1977, y repose, dans le carré juif, selon la volonté de sa fille Anne. Le joaillier Alfred van Cleef est également enterré dans cette partie du cimetière. Fils de diamantaire, il avait épousé Esther Arpels, fille d’un négociant en pierres précieuses. En s’associant avec ses trois beaux-frères, il ouvrit un magasin Place Vendôme dès 1906… avant d’inaugurer des succursales à Deauville, Cannes, Nice et Monte-Carlo……
Ci-dessus à gauche René Goscinny en 1969 ©Getty - Keystone-France / Gamma-Keystone. Et à droite, Alfred Van Cleef et Estelle Arpels le jour de leur mariage, 1895, (c) Archives Van Cleef & Arpels
On y trouve des tombes Art Déco,
Également des temples égyptiens, comme, ci-dessus à gauche, le tombeau d’un couple belge, le baron et la baronne Lothaire de T’Serclaes de Wommersom…
Et des bustes de la Belle Époque…
On y trouve parfois des tombeaux étonnants, comme ci-dessus celui d’un baron anglais, décédé en 1936, dont le nom et le titre figurent au-dessus de la porte. Ce juge de paix de Londres résidait souvent à Nice.
Ci-dessus, une partition de musique et une lyre attirent l’attention ; il s’agit de la tombe de Sebastian B. Schlesinger, un compositeur hambourgeois, apprécié pour ses morceaux au piano et chansons, décédé à Nice en 1917. Qu’il était beau avec son chapeau (photo (c) Gallica).
Georges Lautner, réalisateur et scénariste de cinéma, repose ici depuis 2013. Né à Nice, il est connu pour de nombreux films, dont Les Tontons Flingueurs (avec les célèbres dialogues de Michel Audiard), Le Professionnel (avec Jean-Paul Belmondo), ou bien encore La Maison assassinée (avec Patrick Bruel). Sa mère, l’actrice Renée Saint-Cyr, repose à ses côtés.
Un peu plus loin, la tombe de Rosa Garibaldi, décédée en 1852, mère de Giuseppe Garibaldi, contient la sépulture d’autres membres de cette famille. Le célèbre Niçois, qui a participé à l’unité italienne, est inhumé, quant à lui, à Caprera, petite île au nord de la Sardaigne. Au-dessus de la tombe, deux stèles (1883 et 1885) en italien et en français lui rendent hommage.
On le voit de loin, cet ange qui surmonte un tombeau, plus haut que tous les autres monuments de ce cimetière, qui domine toute la ville, comme pour la protéger. C’est celui du négociant, armateur, mécène et philanthrope niçois François Grosso, inhumé ici en 1939. Il fut également, entre autres responsabilités, représentant des Alpes-Maritimes à l’Exposition Universelle de Paris 1900, président du Tribunal de Commerce et directeur fondateur de la Caisse d’Épargne. Ayant légué la plus grande partie de sa fortune à la Ville de Nice, un boulevard nord sud rappelle sa mémoire. Son tombeau a été réalisé de son vivant, en 1894, après la mort des deux jeunes enfants de la famille (4 et 9 ans), par Joseph Garibaldi, un sculpteur toscan originaire de Carrare. Ci-dessous, détail du tombeau, François Grosso se penchant sur le berceau de l’un des enfants décédés.
Tout en haut, sur le plateau Gambetta, la tombe de Léon Gambetta : voir mon article sur les grands esprits du Panthéon.
Il y a aussi le tombeau d’Emil Jellinek, homme d’affaires originaire de Leipzig (alors dans le royaume de Saxe), qui fut le créateur de la marque automobile Mercedes. Il avait l’habitude de passer l’hiver à Nice, comme d’autres personnes fortunées, où il fut nommé consul de l’Empire austro-hongrois. Passionné par les débuts de l’automobile, il s’était rendu à Stuttgart (alors capitale du royaume de Wurtemberg) pour y visiter l’usine de Paul Daimler, en 1897, afin d’y commander sa première Daimler. L’année suivante, il ouvrait à Nice la concession Daimler, afin de séduire la riche clientèle qui y passait l’hiver. Il participe à des courses automobiles sous le pseudonyme de Mercedes, prénom de sa fille. Et en 1900, il demande à Paul Daimler de construire un nouveau moteur, baptisé Daimler-Mercedes, et c’est le nom de Mercedes qui s’est imposé rapidement : la marque a été déposée par Jellinek dès 1902, sans accent. Il possédait, sur la Prom, deux villas (n° 54 et 57) ainsi que l’hôtel Royal. Il repose, auprès de sa première épouse, dans ce monument, restauré dans les années 1980 par la société Mercedes-Benz de Stuttgart.
Ci-dessus, les ruines du Château Robert à Golfe-Juan, dont Emil Jellinek fut un temps copropriétaire. Ce château avait été construit au milieu du 19ème siècle, dans un style de manoir anglais. On n’en connaît pas le commanditaire avec exactitude. Vers 1875, le maire de Vallauris, André- Ferdinand Dervieu, ancien consul de France à Hambourg, lui donna son allure de palais mauresque, et en fit un hôtel, l’Hôtel d’Orient, surnommé château Robert, prénom du père d’André Ferdinand. La propriété fut rachetée en 1904 par Emil Jellineck et Charles Lehmann, lequel vendit ses parts l’année suivante au baron belge Pierre de Caters. en 1914, Jellineck fut dépossédé de ses biens en France par le Gouvernement en guerre et de Caters en resta l’unique propriétaire. Aujourd’hui, c’est la Ville de Vallauris qui en est propriétaire, et le bâtiment tombe en ruine. La précédente municipalité a vendu le terrain attenant au Conservatoire du Littoral (Parc du Paradou), ce qui compromet les projets, vu l’étroitesse du terrain restant sur lequel est construit le château. Photo Gilles Rycine.
On ne peut pas manquer cette marguerite sculptée sur la tombe de Marguerite Duthuit-Matisse. Cette peintre et résistante était née Marguerite Matisse, fille aînée d’Henri Matisse et de Caroline Joblaud, l’une des modèles de Matisse. Le grand maître du Fauvisme l’avait reconnue en 1897, raison pour laquelle elle portait son nom, et elle posa pour de nombreux portraits. Elle fut la demi-sœur de Jean et Pierre Matisse, et épousa l’écrivain Georges Duthuit, qui repose auprès d’elle. Elle contribua grandement à la création du Musée Matisse de Nice.
La statue en bronze (vers 1875) d’Alexandre Ivanovitch Herzen domine une partie des tombes du cimetière, là où il voulut être enterré. On dirait un personnage d’un roman russe. Né à Moscou en 1812, son patronyme (Herz, cœur en allemand) a été inventé par son père à la naissance. Il est mort à Paris en 1870, mais repose à Nice. Après une éducation aristocratique, en russe, en allemand et en français, il est devenu écrivain, philosophe, journaliste et critique littéraire. Exilé en France, il a voyagé en occident et vécu à Nice à partir de 1852. Militant politique, il s’est opposé au régime tsariste, en particulier au servage, et est considéré de nos jours comme l’un des précurseurs de la Révolution du peuple russe et du socialisme.
À l’entrée du cimetière, une étrange pyramide a été érigée à la mémoire des deux cents personnes décédées dans l’incendie de l’Opéra de Nice en 1881, juste en face de la tombe d’un romancier français, pour lequel on a déplacé le robinet d’eau à afin de lui réserver une place d’honneur à l’entrée du cimetière …
Gaston Leroux a été enterré ici à sa mort en 1927. Il fit de longs séjours sur la Côte d’Azur, surtout à Nice, où il résidait dans le Palais Étoile du Nord, un superbe immeuble construit par l’architecte Charles Dalmas (auteur du Palais de la Méditerranée et de l’hôtel Carlton), 53, Boulevard Gambetta, où il écrivit la plupart de ses œuvres. L’écrivain perdit beaucoup d’argent au Casino de Monte-Carlo, et laissa des dettes de jeu à sa veuve.
Il est l’auteur de romans à succès, mettant en scène son héros, le reporter Joseph Rouletabille, dont Le Parfum de la dame en noir (1908), Le Mystère de la chambre jaune (1908), ou La poupée sanglante (1923). Mais son œuvre la plus célèbre reste Le fantôme de l’opéra (1910), dont l’action se déroule à l’Opéra Garnier de Paris. D’ailleurs, dans ce monument emblématique du Second Empire, une loge dominant la scène et la salle de spectacles a été baptisée Loge du Fantôme de l’Opéra. Parmi les adaptations de ce roman, la comédie musicale d’Andrew Lloyd Weber, créée à Londres en 1986, a été jouée à l’Opéra Garnier de Monte-Carlo en 2023.
Ci-dessus, la tombe de Gaston Leroux au cimetière du château de Nice. Il est représenté sur sa tombe, lisant à un enfant.
Ci-dessous, la loge du Fantôme de l’Opéra, Opéra Garnier, Paris.
Ci-dessus, la comédie musicale donnée à l’Opéra Garnier de Monte-Carlo en décembre 2023.
Une citation de Gaston Leroux : Mes plus sombres imaginations, et je vous prie de croire qu’il y en aura quelques-unes dans « Le Fantôme de l’Opéra » qui est en train de venir au monde, sont nées des plus beaux rayons de soleil.
Le point de vue du guide-conférencier : les tombes des personnages évoqués ne sont pas toujours faciles à repérer, et le cimetière est grand. Mais il y a de quoi faire une intéressante visite guidée…