Jack Warner à Antibes
Près du Port de l’Olivette, au Cap d’Antibes, la villa Bungalow, construite avant la Première Guerre mondiale, occupait le site de la Villa Aujourd’hui - Crédit-photo (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général.
La Villa Aujourd’hui
La Villa Aujourd’hui est l’une des rares maisons pieds dans l’eau à Antibes - Juan les Pins. À l’origine, elle a remplacé une villa plus ancienne en 1938, lorsque l’architecte américain Barry Dierks la construisit dans le style Art Déco pour une expatriée américaine, Audrey Chadwick, qui avec son époux Charles Chadwick, président de la Chicago Towel Co, possédait déjà une villa Art Déco à Palm Beach (Floride), appelée Villa Today… aujourd’hui protégée, au 260 via Bellaria… Elle avait demandé à l’un des plus grands artistes de l’Art Déco, et décorateur du paquebot Normandie, Jean Dunand, de lui réaliser, pour son entrée, deux panneaux laqués en coquilles d’oeuf. Audrey Chadwick y recevait la haute société de Miami, ainsi que Salvador Dalì, dont elle possédait plusieurs œuvres. Les motifs grecs qui décoraient sa villa en Floride ont été repris à Antibes, à la Villa Aujourd’hui, où elle aimait à recevoir ses prestigieux voisins : Lady Norman (Château de la Garoupe), Beatrice Cartwight (Casa Estella), ainsi que le duc et la duchesse de Windsor (Château de la Croë).
Cette maison a été construite sur une étroite bande de terrain, de la taille d’un piano à queue selon son architecte, entre la route et les rochers du Cap d’Antibes. Côté route, cas unique sur la Riviera, la villa et son mur ondulent pour suivre le tracé du boulevard Maréchal Juin. Et une grande demi-lune permet aux voitures de s’arrêter. À l’intérieur, l’escalier en verre de Murano a été conservé.
La Villa Aujourd’hui depuis le port de l’Olivette - août 2025 - Photo G. Rycine.
La Villa Aujourd’hui depuis le port de l’Olivette - août 2025 - Photo G. Rycine.
Barry Dierks
Barry Dierks, avant 1955, par Madame d’Ora, célèbre photographe portraitiste autrichienne, connue pour ses portraits de Josephine Baker, Tamara de Lempicka, Somerset Maugham, Marc Chagall et tant d’autres personnalités de son temps © Nachlass Madame d’Ora, MK&G Collection, Museum für Kunst und Gewerbe, Hambourg.
Barry Dierks, qui habitait depuis 1925 Théoule-sur-Mer dans sa première réalisation, la Villa Trident de l’Esquillon (Pointe de l’Esquillon, où elle existe toujours), était originaire de Pittsburgh (Pennsylvanie). Contemporain d’Eileen Gray et de Robert Mallet-Stevens, il a réalisé ou transformé, pour une riche clientèle internationale, une centaine de villas sur la Riviera, dont le Château de l’Horizon à Golfe-Juan et une vingtaine au Cap d’Antibes, parmi lesquelles la Villa Hier, avenue Mrs. Beaumont, la Villa Sous le Vent, Impasse Félix, construite en 1937 pour une autre Américaine, Mrs. Marion Sidney Allen, la Villa Lilliput (1936) face à la plage de la Salis, et la Villa Dubeau (Dubonnet), Boulevard de Bacon, où sejournèrent l’actrice et nageuse américaine Esther Williams, puis le futur président américain John F. Kennedy en 1953, ou bien encore Gianni Agnelli en 1957.
Enfin, au Cap Ferrat, on lui doit la modernisation complète de la Villa La Mauresque de l’écrivain britannique Somerset Maugham.
Barry Dierks, ici avec son fox terrier, a beaucoup construit pour la haute société de son temps, en particulier pour l’aristocratie. © Nachlass Madame d’Ora, MK&G Collection, Museum für Kunst und Gewerbe, Hambourg.
A-t-on repêché la bague de Jack Warner au fond de l’eau ?
En 1949, la propriétaire, devenue entretemps Mrs. Audrey Le Ray Burdeau, vendit la Villa Aujourd’hui à Jack Leonard Warner (1892-1978), le célèbre producteur de cinéma américain qui avait fondé, avec ses trois frères, Harry, Albert et Sam, le Warner Brothers Studio à Burbank (Los Angeles). Jack Warner, leader ce ce studio pendant près de 50 ans, venait en vacances au Cap d’Antibes, et c’est dans cette villa qu’il organisa tant de réceptions pour des célébrités, comme Charlie Chaplin, Marilyn Monroe, Frank Sinatra…
Marilyn Monroe et Jack Warner.
Si je pense souvent à cette maison, c’est parce que j’ai eu comme voisin et ami le couple de gens de maison qui a longtemps travaillé pour Jack Warner à la Villa Aujourd’hui, Marianne et Louis, qui restent dans ma mémoire et dans mon cœur. Je me souviens de leurs anecdotes au sujet des grandes réceptions données dans la villa par le Colonel Warner pour le Tout-Hollywood. La double porte d’entrée en a vu passer des stars de cinéma ! Cette villa, c’était Hollywood-sur-Mer !
Jack Warner a invité Marianne et Louis, au début des années 1960, à le rejoindre à Los Angeles, en traversant l’Atlantique sur l’un des premiers voyages Le Havre - New York du paquebot France, et après une découverte de New York…
© Retronews
Dans L’Aurore du 30 juin 1952, un petit article nous apprend ceci :
Au Cap d’Antibes, on demande des hommes-grenouilles pour repêcher une bague de 3 millions.
Le célèbre producteur de cinéma américain Jack Warner en vacances au Cap d’Antibes, a perdu, alors qu’il se baignait au large de la villa « Aujourd’hui », qu’il a louée pour l’été, une bague en platine et pierreries d’une valeur de 3 millions et demi.
Il a offert une prime de 400.000 francs aux membres du Club de la Mer de Juan-les-Pins pour celui des chasseurs sous-marins qui réussirait à retrouver sa bague au fond de l’eau. Il parait que ceux-ci ont déjà réussi des exploits aussi difficiles.
© Retronews
Ci-dessus, dans Paris-presse l’intransigeant du 4 septembre 1953, un article relate un vol important à la Villa Aujourd’hui, on parle de 40 millions de francs ! Une histoire de chantage, dont a été victime la fille du producteur américain, Barbara, alors âgée de dix-huit ans, qui avait organisé une fête en l’absence de sa mère (en Californie) et de son père (à Rome).
© Retronews
Le lendemain, dans le même journal, ci-dessus, la somme dérobée dans le coffre-fort à l’étage de la villa semble moins élevé, on parle de 25 millions… D’autres articles ultérieurs font état d’interrogatoires de la police française de deux suspects présents à la surprise-party de Mlle Warner, en l’absence de son père, une mannequin anglaise et son ami banquier… Et dans l’édition du 8 septembre 1953, ci-dessous, on apprend que les suspects ont dû répondre à 150 questions, mais on ne connaît pas le fin mot de l’histoire… Après quelques recherches, il s’avère que le bad boy s’est enfui à Tanger, puis à Londres, où il a été condamné à quatre années de prison, mais il n’en a fait qu’un an…
© Retronews
Jack Warner allait souvent jouer au Casino du Palm Beach à Cannes et à celui de Monte-Carlo. Il fréquentait également l‘ex-roi Farouk d‘Égypte, et le producteur de cinéma, scénariste et réalisateur américain Darryl Zanuck, qui adorait séjourner à l‘Hotel du Cap. Jack Warner recevait également à la villa Elsa Maxwell, célèbre chroniqueuse américaine, spécialiste des soirées mondaines. En 1958, en rentrant de soirée à la Villa Aujourd’hui, Jack Warner a été victime d’un accident de voiture, et il a été soigné à Cannes, à l’Hôpital des Broussailles (Simone Veil de nos jours) pendant quatre mois. Il est revenu au Cap d’Antibes en 1972, afin de célébrer son 80ème anniversaire…
Collection personnelle P. Borsarelli.
Collection personnelle P. Borsarelli.
Marianne m’avait offert ces deux photos, ci-dessus, représentant Jack Warner et sa fille Barbara, devant leur maison de Beverly Hills, The Jack Warner Estate, sur Angelo Drive, dans le Benedict Canyon, le 13 septembre 1949. Dans un parc de plusieurs hectares, il s’agit d’une magnifique maison de style Georgian revival, à la façade de temple grec à six colonnes doriques, représentative de l’âge d’or d’Hollywood.
Jack Warner avait acheté le terrain dès 1929 avec sa première épouse Irma, pour y faire construire une villa de style espagnol. Après son remariage avec Ann, en 1935, cette maison est rasée, à la demande de la nouvelle épouse, pour laisser la place à la demeure que nous connaissons encore aujourd’hui. Jack Warner a alors choisi le style des grandes maisons néoclassiques du sud des États-Unis avant la Guerre de Sécession. Le couple Warner y a donné des fêtes privées somptueuses.
C’était une maison d’un luxe inouï, avec une grande salle de projection, entourée d’un immense parc, dont un golf de 9 trous, qui avait été dessiné par l’architecte paysagiste Florence Yoch, connue également pour ses décors de cinéma, dont celui de la propriété Tara dans Autant en emporte le vent (1939).
La propriété de Beverly Hills vue du ciel © Google Maps
L’entrée de la maison, de nos jours - Crédit-photo : The Warner Estate © Tim Street-Porter
Jack Warner est décédé en 1978, et son épouse Ann a continué à vivre dans cette maison jusqu’à son décès en 1990. Depuis, la propriété a été vendue au co-fondateur de DreamWorks SKG, David Geffen, qui avait fait fortune dans l’industrie du disque, puis rachetée en 2020, pour 165 M USD, dit-on, par un certain Jeff Bezos…
Quant à Barbara, la fille de Jack Warner, qui avait épousé en premières noces Claude Terrail (La Tour d’Argent, Paris), elle a vécu à New York et Beverly Hills jusqu’à sa disparition, en 2022, entretenant une correspondance avec ma voisine Marianne (ayant rejoint Louis en 2014), qui s’était beaucoup occupée d’elle lorsqu’elle était jeune, au Cap d’Antibes…
Crédit-photo P. Borsarelli.
Le Port de l’Olivette
Indissociable de la Villa Aujourd’hui, c’est l’endroit préféré des Antibois, une vraie carte postale.
Les pointus, à moteur, ou bien à voile latine ou à rames, sont des bateaux de pêche en bois, typiques des côtes méditerranéennes, qui de nos jours servent encore à la pêche et à la promenade. Leur présence sur ce site est attestée dès le début du siècle dernier : une fois la pêche terminée, les bateaux étaient hissés sur la plage.
Après la guerre, afin de protéger le site des coups de mer, la première digue a été aménagée en récupérant les pyramides de béton que l’occupant nazi avait disposées tout au long du littoral afin d’empêcher un débarquement des Alliés.
Crédit-photo P. Borsarelli.
Le site est géré depuis 1982 par une association, qui l’entretient avec amour et qui partage son expertise dans la restauration de pointus en mauvais état. Au printemps, on remonte les pontons et, en mai, les pointus sont remis à l’eau, et diverses animations sont organisées, avant le démontage des pontons en octobre, et la mise en hivernage des pointus. Titulaire d’une délégation de service public, l’association valorise les 44 postes de mouillage dans le but de transmettre ce lieu patrimonial aux générations futures.
Le point de vue du guide-conférencier : il m’arrive d’évoquer Jack Warner en visite guidée d’Antibes Juan les Pins, et également dans ma conférence sur les Années Folles sur la Côte d’Azur…