Totor au Negresco

Son dôme rose souligné de turquoise et sa grande façade blanche de style Belle Époque sont le symbole de Nice, reconnaissable au premier regard. Josephine Baker, Louis Armstrong, Winston Churchill, la reine Elisabeth II, les Beatles, Michael Jackson y ont séjourné, tout comme Orson Welles, Ava Gardner, Ernest Hemingway et tant d’autres ! Et de nombreux films de cinéma y ont été tournés !

Ce Versailles azuréen porte le nom d’un fils d’aubergiste roumain et violoniste tzigane, Henri Negrescu, qui avait trouvé du travail, en 1893, dans un restaurant de Monte-Carlo. Devenu directeur du restaurant de l’Hôtel du Helder (angle avenue de la Madone / Boulevard des Moulins), aujourd’hui disparu, il avait également pris la direction du restaurant du Casino municipal de Nice et du restaurant du Casino d’Enghien-les-Bains. Naturalisé Français sous le nom de Negresco, Henri rencontre des investisseurs et le starchitecte Édouard-Jean Niermans, qui a transformé et rénové l’Hôtel de Paris de Monte-Carlo, et reconstruit l’Hôtel du Palais à Biarritz. C’est Niermans qui construit le Negresco, y compris l’immense verrière, de style Louis XVI, que l’on avait longtemps attribuée, à tort, à Gustave Eiffel.

À gauche, Henri Negresco sur la Prom’ en 1913 (c) Hôtel Negresco.

À droite, Édouard-Jean Niermans (c) Portraits d’Architectes

L’architecte a tiré parti de la parcelle de 6.500 m2 achetée sur la Promenade des Anglais à côté de la Villa Masséna, en utilisant l’espace disponible au maximum et la technique récente du béton armé, tout en donnant une forme de losange (et non de carré comme on pourrait le croire) aux quatre ailes entourant la verrière centrale, avec une rotonde à chaque angle.

La verrière du Salon Royal.

Dès son ouverture en janvier 1913, le Negresco a accueilli les grands de ce monde. Mais pendant le conflit mondial, l’hôtel est transformé en hôpital (pour soigner les blessés et loger les officiers), et Henri Negresco meurt à Paris, ruiné, en 1920.

En 1957, Jean-Baptiste Mesnage, promoteur immobilier d’origine bretonne, et sa fille Jeanne rachètent cet hôtel endormi et c’est surtout Jeanne, devenue Jeanne Augier, par son mariage avec l’avocat Paul Augier (dont le Lycée d’hôtellerie et de tourisme de Nice porte le nom) qui va passer sa vie à faire du Negresco une ambassade de l’art français.

Je me souviens l’avoir vue plusieurs fois dans le quartier des antiquaires, près du port de Nice, à la recherche de trésors, ainsi que dans son hôtel, tant de fois, où on l’appelait Madame.

Madame n’est plus là, depuis 2019, mais son souvenir est présent dans chaque recoin de l’hôtel. Après l’ouverture du somptueux spa en 2024, c’est la suite Jeanne et Paul qui a été inaugurée en 2025, au niveau du célèbre dôme, en lieu et place de l’ancien appartement de Madame Augier.

Le Negresco, une œuvre d’art…

Le Negresco est une œuvre d’art à lui seul, qui renferme plus de 6.000 œuvres d’art, de différentes époques, de Louis XIII à nos jours, principalement des 17ème et 18ème siècles, beaucoup du 20ème siècle.

Je vous propose de partager avec vous une sélection d’une douzaine d’œuvres plus récentes.

Le Salon Royal est surmonté d’une verrière classée Monument Historique, tout comme les façades et les toits de l’hôtel. Le lustre en cristal de la manufacture de Baccarat, haut de 4,60m, est composé de 16.800 cristaux. Commandé en double exemplaire pour le Kremlin par le tsar Nicolas II, il ne put y être livré à cause de la Révolution, et a trouvé sa place ici.

Les portraits de l’Empereur Napoléon III et de l’Impératrice Eugénie y figurent en bonne place, eux qui honorèrent de leur visite la Ville de Nice peu après son rattachement à la France.

Au Salon Versailles, le portrait célèbre de Louis XIV, en costume de sacre, considéré comme le portrait officiel du Roi Soleil, par le portraitiste officiel de sa Cour, Hyacinthe Rigaud, dont les deux autres exemplaires sont au Musée du Louvre et au Château de Versailles. Ce tableau de 1701 se trouvait chez un collectionneur en Belgique, et Jeanne Augier l’a ramené en France. Le roi tient l’épée de Charlemagne et le sceptre d’Henri IV. Au Palais Princier de Monaco, on doit à ce peintre de Cour le portrait du Prince Antoine Ier et celui du Prince Honoré III.

Dans la galerie du Salon Royal, cette Fête à Venise a été découverte pendant les travaux de restauration du palace en vue des célébrations de son centième anniversaire en 2012. Cette immense toile marouflée avait été complètement oubliée ; elle est l’œuvre de Paul Gervais. On est ici dans l’esprit des fêtes représentées par Giambattista Tiepolo, le grand maître vénitien du 18ème siècle. Paul Gervais a également travaillé à Monte-Carlo : il est l’auteur des Naïades dans la Salle Empire de l’Hôtel de Paris et, dans la Salle Blanche du casino tout proche, des Grâces Florentines, lesquelles évoquent les courtisanes qui hantaient ce lieu mythique à la fin du 19ème siècle, et qui vous toisent dès votre entrée dans la salle de jeux.

Isabelle Planté, qui se définit elle-même comme une artiste onirique, dans Le Palace (2004), nous présente un Negresco rêvé. Née à Pau en 1949, elle a d’abord fait carrière dans la publicité. François Pinault fait partie des collectionneurs de cette artiste.

La Nana jaune de Niki de Saint-Phalle, de 1995, en résine polyester sur aluminium, orne la galerie du Salon Royal, et tourne sur elle-même L’artiste franco-américaine, amie de Jeanne Augier, a commencé à créer ses Nanas à partir de 1964. Son monde est peuplé de créatures fantastiques, souvent recouvertes de mosaïques et de miroirs. Elle fait l’objet, en 2025, de deux grandes expositions, une à l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence (voir mon article à ce sujet) et l’autre au Grand Palais, à Paris. Son œuvre emblématique, inspirée du Park Güell de Gaudì à Barcelone, est son Jardin des Tarots, (Giardino dei Tarocchi) près de Capalbio dans le sud de la Toscane, créé à partir de 1979 sur une période de 20 ans, où 22 sculptures géantes représentent les arcanes majeurs (les lames, ou cartes) du tarot.

Ben est présent au Negresco. Son écriture est très reconnaissable, le plus souvent en blanc sur fond noir. Un clin d’œil bleu au Sommet de l’Océan, qui a eu lieu à Nice en juin 2025, et au dîner de gala de cet événement de l’O.N.U., qui s’est déroulé ici. Ben Vautier, décédé en 2024, est l’une des figures légendaires de l’École de Nice. Il a côtoyé Martial Raysse, Yves Klein, Arman, César…

La Marianne tricolore de Jo Aquilina dans le Salon Royal tourne sur elle-même. Ses fines lamelles laissent entrevoir le portrait de Jeanne Augier, qui trouvait cette sculpture représentative du nouveau millénaire. Le sculpteur, installé sur les hauteurs de Nice, a reçu cette commande en 1998 de Madame Jeanne Augier. En quelque sorte, il a créé une femme d’acier pour la dame à la volonté de fer du Negresco. Il a également représenté Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Sa Marianne du Negresco a été copiée en Chine et reproduite industriellement, au grand dam de l’artiste.

En 2007, le portraitiste Igor Mouslimov, né en Crimée en 1964, et qui a passé les quinze dernières années de sa vie à Nice, a signé ce grand portrait de Jeanne Augier, exposé dans le Salon Royal. Il était également connu, outre ses portraits très réalistes, pour ses talents de copieur et restaurateur de tableaux.

Thierry Trivès, dit T.T., né en 1966 à Marseille, installé à Mougins, travaille divers matériaux comme le métal, la résine, l’acrylique, le verre mais aussi le béton. Il est l’auteur de La Palme, ce plongeur à palme unique, lequel, comme son auteur, tombé dans le désespoir, trouve la clé pour remonter à la surface. T.T. est également célèbre pour la sculpture cri du cœur, qui représente un homme hurlant dont le torse est percé d’un énorme trou en forme de cœur.

Eddy Maniez, né en 1969 à Grasse, est l’auteur de l’immense poulpe bleu, son animal fétiche, qui trône dans le Salon Royal. Ses sculptures de créatures marines, piquantes au regard mais douces au toucher, sont souvent faites de résine, sur laquelle l’artiste applique des centaines de picots de silicone, à l’œil nu, l’un après l’autre. Elles sont ensuite sublimées par des cristaux Swarovski, intégrés un à un à la main. L’artiste crée des méduses, des homards, des poissons, des tortues, des scarabées, des crocodiles, des gorilles, en véritable amoureux des animaux. Comme les œuvres de Ben et la Palme, cette sculpture fait partie d’une exposition inspirée des océans, visible jusqu’au 31/08/2025, en rapport avec la récente conférence de l’ONU sur les océans.

Le chien Totor out of time est l’œuvre commune (2023) de Stéphane Bolongaro et de John Lopez.

Stéphane Bolongaro, né à Nice en 1963, est connu pour ce chien iconique. Un passionné d’art, qui dans sa jeunesse a tissé des liens d’amitié avec Sosno et Arman, deux figures majeures de l’École de Nice. Si vous passez par la 202 bis (M6202 bis), au niveau du pont Louis Nucera, à la fin de la zone industrielle du Broc, vous connaissez son Totor à vélo, exposé là depuis le passage du Tour de France en 2020.

Crédit photos sauf mention contraire : P. Borsarelli.

Le sculpteur américain John Lopez, né dans le Dakota du Sud en 1971, est très connu pour ses incroyables sculptures d’animaux grandeur nature en métal (bisons, cerfs, chevaux, élans…)  et son expertise en matière de soudure (sculpture welded art). En France, on peut admirer son bison, confectionné à partir de ferrailles abandonnées, au parc animalier de Sainte-Croix, à Rhodes, en Moselle.

En 2019, à Monaco, Stéphane Bolongaro a conçu une grande exposition en hommage à la Princesse Grace, qui aurait eu 90 ans cette année-là. À cette occasion, il a demandé à une cinquantaine d’artistes américains de créer un portrait de la Princesse Grace, en sculpture ou sur une toile, dont justement John Lopez. L’artiste américain, lors de l’inauguration, en échangeant avec le Prince Albert II, a appris que son père, le Prince Rainier III, aimait travailler le métal et maîtrisait l’art de la soudure…

Je me souviens d’une œuvre en particulier, un sac Kelly d’Hermès tournant sur un nuage…

Un petit conseil : Si vous allez voir le site du sculpteur américain www.johnlopezstudio.com  vous n’en reviendrez pas !

Précédent
Précédent

Jack Warner à Antibes

Suivant
Suivant

Mouns en Prouvenço