1925 : L’exposition des Arts Décoratifs

Art Déco - 3 sur 3

Même si ce nouveau style a commencé dès les années 1910, la grande exposition, prévue pour 1913,  a été retardée pour plusieurs raisons, dont la Première Guerre mondiale. Il fallait apporter une réponse à des expositions organisées avant la guerre,  notamment par les artistes turinois et munichois. Et depuis l’exposition universelle de 1900, qui avait ébloui le monde, la France était à la traîne. L’expo de 1925, à vocation commerciale, a été voulue par le Gouvernement français pour faire rayonner l’art français.

L’une des affiches de l’expo de 1925, par Robert Bonfils. Le message est clair : c’est le Ministère du Commerce et de l’Industrie qui est aux commandes.

D’avril à octobre 1925, l’Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes (The International Exposition of Modern Decorative & Industrial Art) s’est déroulée entre les Invalides et le rond-point des Champs-Élysées, et de la Concorde au pont de l’Alma, offrant à ses millions de visiteurs venus du monde entier une extraordinaire vitrine d’un nouvel art français, très moderne. La grande originalité, c’est que cette exposition a présenté les arts de la maison.

On parlait alors du style 1925, du nouveau style, ou du style moderne. C’est seulement dans les années 1960 que l’on a qualifié ce style d’Art Déco.

L’Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925, qui a fait souffler un vent de modernité sur Paris, est le point de départ de la diffusion internationale du mouvement Art déco, qui s’exporte alors à New-York, Shanghai ou encore São Paulo, donnant ainsi naissance aux gratte-ciels que l’on connait aujourd’hui.

Le Pavillon de l’Élégance regroupait les principaux acteurs de la mode et du luxe, comme Worth et Cartier. Ici une robe du soir de Jeanne Lanvin devant un paravent en métal, en fonte de fer, fer et laiton. Ce paravent, L’Oasis, a été considéré comme l’un des chefs d’œuvres de l’exposition de 1925, en particulier la fontaine de métal qui jaillit d’une végétation luxuriante. Il est l’une des œuvres emblématiques de l’Art Déco. Architecte Henri Favier - Ferronnier Edgar Brandt, collection particulière.

Edgar Brandt a réalisé des décors de portes en fer forgé pour plusieurs bâtiments new-yorkais, en véritable ambassadeur de l’art français aux États-Unis. Il a réalisé en fer les concepts de son ami architecte Henri Favier, le brûloir de la tombe du Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe (1923) à Paris, le paravent l’Oasis (1924), et la grille de l’Hôtel du Collectionneur (Pavillon Ruhlmann) à l’expo 1925. Il fut le plus grand ferronnier de l‘entre-deux-guerres. Et ce paravent L’oasis était exposé dans son propre stand sur l‘esplanade des Invalides. À l’exposition de 1925, c’est lui qui a conçu le portail du Pavillon de Monaco… 

Ci-dessus : le Pavillon de Monaco à l’Expo 1925 (Domaine public).

Inauguré par la Princesse Charlotte et le Prince Pierre, le Pavillon de Monaco se trouvait sur les Champs-Élysées, entre l’Autriche et la Suède. C’est l’architecte monégasque Julien Médecin qui en est l’auteur. L’année précédente, aux Jeux Olympiques de Paris, il avait remporté une médaille olympique (la première en date pour Monaco) dans l’épreuve d’architecture, qui existait alors. Et en 1937, c’est lui qui a signé le bâtiment de la Fondation de Monaco dans la Cité internationale universitaire de Paris, dans un style plus classique en pierre de taille.

Pour l’exposition de 1925, le pavillon monégasque était Art Déco, pensé comme une luxueuse résidence méditerranéenne, aménagé par l’architecte H. Février et décoré par le Niçois Jules Bouchon (que l’on retrouvera quelques années plus tard au Centre Universitaire Méditerranéen à Nice, avec son Allégorie de la Méditerranée dans l’amphithéâtre). À l’intérieur, les murs étaient décorés de fruits, de fleurs et de représentations de divers sports. On pouvait y voir, exposés, des flacons de parfum, des poteries colorées, et des bijoux signés Henri Dubret, qui s’était fait connaître avec ses superbes bijoux Art Nouveau avant d’évoluer vers l’Art Déco. Le Pavillon monégasque était entouré d’une belle végétation méditerranéenne.

Les arbres cubistes en ciment des frères Jan et Joël Martel, dans le jardin conçu par Robert Mallet-Stevens à l’Expo de 1925. Les mannequins portent des tenues de Sonia Delaunay. J’ai pris les photos ci-dessus à l’exposition du Musée des Arts Décoratifs (voir mon article Art Déco - 2 sur 3). Et les photos ci-dessous ont été prises à la Cité de l’Architecture, dans le Palais de Chaillot, vestige de l’Exposition Universelle de 1937.

L’architecte Robert Mallet-Stevens (voir mon article sur la villa Cavrois) a construit un pavillon-manifeste à l’entrée de l’expo (ci-dessus) : le Pavillon des Renseignements et du Tourisme, d’une grande modernité  pour l’époque, tout près du Grand Palais, vestige de l’Exposition Universelle de 1900.

Quel contraste ! C’est le bâtiment le plus spectaculaire de l’événement, conçu par un jeune architecte encore peu connu. 

La tour-horloge sera copiée dans le monde entier. Haute de 36 m, elle comportait un garage automobile à sa base. Tout en haut un carillon de 8 cloches sonnait différemment tous les quarts d’heure.  Pour l’architecte, ce fut le premier manifeste parisien d’une architecture cubiste. 

À l’intérieur, un grand hall de 22x9 m, éclairé par une grande verrière, pour l’accueil des visiteurs, avec des bas-reliefs sur le thème des transports par les frères Martel. La maquette présentée ici est de 2013. 

Robert Mallet-Stevens (c) par Thérèse Bonney / Ministère de la Culture. Thérèse Bonney, d’origine américaine, était journaliste et photographe, passionnée d’architecture et de design. Elle a suivi le travail de nombreux artistes, dont Mallet-Stevens (notamment la Villa Noailles à Hyères) et Ruhlmann. Ses photos du paquebot Île-de-France ont été utilisées par la Compagnie Générale Transatlantique pour ses campagnes publicitaires. Elle a contribué à diffuser aux USA le mouvement Art Déco. Amie de nombreux artistes, elle a vécu avec Raoul Dufy. 

On a gardé la mémoire de la grande fontaine en cristal de René Lalique, le grand maître verrier, déjà connu depuis l’Exposition Universelle de Paris 1900. Appelée Les Sources de France, la fontaine de 15 m de haut, sur l’esplanade des Invalides, était ornée de 128 caryatides. L’écrivaine Colette l’a trouvée “merveilleuse”. Installée entre le Pavillon Lalique et celui de la revue Art & Décoration, elle symbolisait les sources, les ruisseaux et les fleuves de France et provoquait l’admiration des visiteurs, surtout quand elle était éclairée le soir. Un des clous de l’Expo, et la consécration pour le maître-verrier, qui va décorer l’Orient-Express, les paquebots Ile-de-France et Normandie, et créer des flacons de parfum extraordinaires, des panneaux de verre et des bijoux… La même année, 1925, il aménageait la boutique Worth sur la Croisette à Cannes

Pavillon des magasins Le Printemps, dit Primavera, par Henri Sauvage, l’un des inventeurs de l’architecture Art Déco, et Georges Wybo, qui travaillait pour cette enseigne de grands magasins (c) Cité de l’architecture, Paris. Ce bâtiment très original abritait Primavera, c’est-à-dire les ateliers d’art du Printemps. En effet, les grandes enseignes avaient développé en interne des ateliers de fabrication, notamment des meubles et l’art de la maison. Cette exposition en était la vitrine ! La coupole de 20m de diamètre était en béton armé (frères Perret), doublé de paille pour maintenir une bonne température, et elle était percée de lentilles en verre coloré de René Lalique. Henri Sauvage est aussi l’architecte qui a transformé, en 1925, la partie sur la Seine du grand magasin de La Samaritaine, restauré à grands frais par LVMH il y a quelques années. 

La Samaritaine d’Henri Sauvage.

Pavillon des Galeries Lafayette par Joseph Hiriart, Georges Tribout et Georges Beau (c) Cité de l’architecture, Paris. 

L’exposition de 1925 présente également des jardins, dont celui de Robert Mallet-Stevens, agrémenté des arbres cubistes des frères Martel. On trouve un jardin comparable à Hyères, à la villa Noailles, autre construction emblématique de cet architecte, où le jardin cubiste a été créé par Gabriel Guévrekian, auteur du jardin d’eau et de lumière à l’Expo de 1925 (ci-dessus en couleurs), la première exposition internationale à vraiment mettre en valeur l’art des jardins, avec une vingtaine de jardins éphémères, aux couleurs vives. Le jardin moderne est conçu comme une pièce extérieure de la maison. De nombreux visiteurs se sont demandés s’il s’agissait encore de jardins. 

Le Pavillon des Grands Magasins du Louvre, ou Pavillon Studium-Louvre (le nom des ateliers d’art de ces grands magasins) (c) Cité de l’architecture Paris. L’architecte Albert Laprade est connu pour avoir construit, en collaboration avec des confrères, le Garage Citroën rue Marbeuf à Paris (1928), et surtout le Palais de la Porte Dorée pour l’exposition coloniale de 1931, autre bâtiment remarquable de l’Art Déco, avec des oeuvres de Ruhlmann à l’intérieur… Ce pavillon était remarqué pour sa salle de bain tout en verre Lalique

Les Grands Magasins du Louvre, qui n’existent plus, se trouvaient près du Louvre, Place du Palais-Royal, dans un grand bâtiment haussmannien, qui a un temps abrité le Louvre des Antiquaires, et qui est depuis peu l’écrin de la Fondation Cartier : derrière la façade, Jean Nouvel a créé de grands espaces d’exposition dont les planchers peuvent monter ou descendre en fonction des œuvres contemporaines présentées…

L’architecture monumentale de l‘exposition de 1937, dont il reste les palais du Trocadéro, a pu être associée aux architectures fascistes contemporaines, et à partir de 1945, la reconstruction en France s’est tournée non pas vers l‘Art Déco, abandonné, mais plutôt vers le modernisme de Le Corbusier, présent à l’expo de 1925 avec son Pavillon de l’Esprit Nouveau, ci-dessus, très différent des autres.

Le point de vue du guide-conférencier : l’exposition à la Cité de l’architecture présente les architectes qui ont participé à l’Exposition de 1925 à Paris, tandis que l’exposition du Musée des Arts Décoratifs présente la naissance et le développement de l’Art Déco, notamment dans la joaillerie, la céramique, les objets du quotidien et surtout le mobilier.

Inaugurée par le Président de la République Gaston Doumergue, l’exposition de 1925 a duré 7 mois et attiré près de 16 millions de visiteurs. On a peut-être oublié son importance : 20.000 créateurs, près de 150 pavillons sur 23 hectares ! Deux sections : une partie française (une centaine de pavillons) et une section étrangère (21 pays). Elle a été un vrai coup de com pour la France. Pour chaque projet architectural, le mode de vie moderne était à l’honneur : usage de l’électricité, du téléphone, de l’automobile, distribution rationnelle des espaces, et principes de vie hygiénistes, le tout dans une esthétique soigneusement étudiée.

Des régions françaises ont présenté leur savoir-faire et leurs industries, par exemple les Alpes-Maritimes, Roubaix-Tourcoing, l’Alsace, la Bretagne, avec des pavillons affirmant leur identité.

Si l’Exposition Universelle de 1889 avait vu triompher l’utilisation du métal en architecture, l’exposition des arts décoratifs de 1925 a consacré l’usage du béton armé

Contrairement aux Expositions Universelles, qui ont laissé de grands monuments parisiens, il ne reste pas de bâtiment de cette incroyable exposition, de ce style français, véritable manifeste de la modernité. Toutefois, à Étampes (91), il reste la Pergola de la Douce France, qui faisait partie d’un pavillon à l’expo de 1925, remontée dans un jardin dans les années 1930, ornée de bas-reliefs représentant des légendes celtiques, par les Frères Martel, Pompon et Zadkine…

Ce style s’est rapidement propagé dans l’architecture des villes française, notamment pour reconstruire celles endommagées par la guerre : Saint-Quentin, Béthune, Reims, mais aussi dans des stations thermales comme Vichy ou des villes touristiques comme Nice et Cannes, non seulement des immeubles d’habitation mais aussi des piscines (Roubaix), stades, cinémas, théâtres et casinos (Palais de la Méditerranée à Nice). 

Crédit-Photos : Philippe Borsarelli (sauf mention contraire).

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