1925-2025 : Cent ans d’Art Déco
Art Déco - 2 sur 3
L’Art Déco est une réaction aux formes exubérantes de l’Art Nouveau. On lui préfère la symétrie, des formes simples, la ligne droite, le cercle, le cylindre. Et si le terme Art Déco fait référence au nom de l’exposition de 1925 (voir mon article Art Déco - 3 sur 3), il date des années 1960. Au Royaume-Uni, on parle d’Art Deco, et aux États-Unis, souvent, de Deco… En lien avec le Cubisme et aussi le Fauvisme, l’Art Déco se caractérise par la simplification, la géométrisation des formes, des couleurs vibrantes.
Des couleurs vibrantes comme ici deux étuis à cigarettes de 1928, dessinés par Raymond Templier et réalisés par l’orfèvre Jean Trotain, en argent, laque, coquille d’œuf, argent doré et émail.
Avec environ. 1.200 pièces soigneusement sélectionnées, cette exposition au Musée des Arts Décoratifs à Paris tient ses promesses. Elle montre comment ce grand mouvement artistique français, qui a enterré l’Art Nouveau, est né en France et s’est ensuite développé dans de nombreux pays, dont les États-Unis. Voici ma petite sélection de quelques pépites…
Certains artistes ont un lien avec la Côte d’Azur…
Un meuble étonnant, une bergère (commode) du journaliste, illustrateur de mode, affichiste et décorateur basque Paul Iribe, vers 1912, en ébène (boutons, guirlandes, pieds) et soie, commandée par le couturier Jacques Doucet. On pourrait penser à un meuble du 18e siècle, mais est déjà dans l’Art Déco, avec ce galuchat vert recouvrant une structure en acajou. De son vrai nom Paul Iribarne Garay, Paul Iribe a créé des meubles non seulement pour Jacques Doucet, mais aussi pour Coco Chanel, Jeanne Lanvin et Paul Poiret. Sa “rose Iribe” est un motif classique de l’Art Déco. À partir de 1919, il a passé une dizaine d’années à Hollywood, travaillant comme collaborateur du metteur en scène Cecil B. de Mille. En 1935, à Roquebrune-Cap-Martin, en séjour dans la villa La Pausa de son amie Coco Chanel, pour laquelle il a dessiné des bijoux, il meurt d’une embolie lors d’une partie de tennis…
Un flacon de parfum de Jeanne Lanvin : Arpège et un flacon de Guerlain : Shalimar. C’est la maison Baccarat qui a créé ce flacon pour Guerlain : un modèle « chauve-souris » en cristal en forme d’urne côtelée, surmonté d’un bouchon « éventail » bleu, dessiné par Raymond Guerlain. À noter que Shalimar est toujours vendu de nos jours dans son flacon Art Déco, objet d’une campagne publicitaire en novembre 2025 : “Cent ans de passion”. Dans le fond, la photo des arbres cubistes des frères Martel.
Connaissez-vous l’histoire de ce logo ?
Ce superbe dessin sur le flacon d’Arpège est à l’origine un ex-libris utilisé par la maison Lanvin comme vignette publicitaire. Il s’inspire d’une photo de 1907 représentant Jeanne Lanvin et sa fille Marguerite posant pour un bal costumé (c) Patrimoine Lanvin. Jeanne Lanvin fut l’une des premières créatrices à utiliser un logo, celui-ci. Et en souvenir de Marguerite, adorée par sa mère, et réciproquement, la maison Lanvin a longtemps utilisé un autre logo : une marguerite stylisée.
Et qui a réalisé ce superbe dessin ? Le grand Paul Iribe, cité plus haut !
En 1927, pour les 30 ans de sa fille, qui a épousé le comte Jean Henri Marie Melchior de Polignac, Jeanne Lanvin décide de lui offrir un parfum. Composé par un parfumeur de 25 ans, André Fraysse (avec Paul Vacher), il fallait trouver un nom pour cette création de jasmin de Grasse, rose bulgare, muguet, tubéreuse, chèvrefeuille,… Marguerite, pianiste, déclare : „on dirait un arpège“. Le nom est trouvé. C’est Armand-Albert Rateau qui dessine la boule noire en verre teinté coiffée d’un bouchon à godrons dorés. C’est lui qui a décoré l’hôtel particulier de Jeanne Lanvin à Paris. Dans les ventes aux enchères, la cote de Rateau est très élevée actuellement. A.-A. Rateau avait également pour clients le couple new-yorkais George et Florence Blumenthal, dont il a décoré l’appartement de Manhattan et restauré le château de Malbosc tout près de Grasse, acquis en 1925. Ils engagèrent, pour aménager leur jardin provençal, Jacques Greber, un architecte très connu, spécialisé dans l’architecture du paysage et le design urbain, qui a fait une brillante carrière en France, aux USA et au Canada.
J’ai pris cette photo lors d’une autre visite au Musée des Arts Décoratifs, qui présente une partie de l’appartement Art Déco de Jeanne Lanvin dont Marguerite à hérité au décès de sa mère … Et après la disparition de Marguerite et Jean, c’est leur neveu qui, lorsque l’hôtel particulier de Jeanne Lanvin à Paris était voué à la démolition, a donné le mobilier de Jeanne Lanvin au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Ce neveu était le prince Louis de Polignac, dont la mère, Diane de Polignac, était la cousine germaine du Prince Pierre de Monaco, grand-père paternel du Prince Albert II de Monaco. Diane avait un frère, Jean de Polignac, qui avait épousé Marguerite, la fille de Jeanne Lanvin.
Louis de Polignac, parrain du Prince Albert II, dont on peut voir un buste devant l’Hôtel Hermitage, Square Beaumarchais (œuvre de Kees Verkade) à Monte-Carlo, fut président délégué de la Société des Bains de Mer. Il fut également PDG des parfums Lanvin…
Au premier étage de la Bastide du Roy, à Antibes, ancienne propriété de la famille Lanvin-Polignac, on peut voir la chambre et la salle de bain Art Déco des anciens propriétaires. Un lieu d’exception, qui se visite exceptionnellement pour des expositions d’art, ou qui peut se louer pour des événements privés (mariages) ou d’entreprise, sous la direction de Divina Gismondi.
Porte pliante à cinq feuilles (paravent à cinq panneaux) de l’architecte Robert Mallet-Stevens, pour sa propre salle à manger. Il a confié le travail de laque au grand spécialiste Jean Dunand. Bois laqué et métal, vers 1928.
Un pare-feu exubérant du décorateur Clément Mère réalisé par l’ébéniste Van der Aken, vers 1923, en ébène de Macassar, ivoire gravé et patiné, et soie brodée. Clément Mère avait travaillé, avec Clément Rousseau chez Nelly et Robert de Rothschild. Cette chaise de 1921, en palissandre, galuchat (cuir de poisson), ivoire, soie, faisait partie des meubles créés par Clément Rousseau pour l’appartement privé de la baronne Nelly de Rothschild.
Clément Mère est l’auteur de ce cabinet, vers 1914, en placage d'ébène de macassar et galalithe, intérieur en amarante. Né à Bayonne en 1861, il est mort en 1940 à Menton. J’ai choisi ce meuble pour montrer que l’Art Déco commence bien avant 1925…
Sur une superbe console Art Déco, un lévrier (1920) du sculpteur Gaston Le Bourgeois, connu pour ses sculptures animalières, le bar Prunier à Paris, la décoration du hall de la Salle Pleyel et du paquebot Normandie.
Voici une icône de style ! Un chiffonnier, dit anthropomorphe, d’André Groult, 1925, galuchat (matériau emblématique de ce style), hêtre, acajou, ivoire, présenté à l’expo de 1925, dans la chambre du pavillon de l’ambassade française. Dans le nom de l’ambassade française, on retrouve l’idée de la diffusion du goût français dans le monde. Et en 1925 aucun pays n’offre une telle diversité et une telle richesse de production. Dans ce pavillon, chaque pièce est l’œuvre de créateurs : Robert Mallet-Stevens a aménagé un hall cubiste, le grand laqueur Jean Dunand a créé le fumoir avec Francis Jourdain, André Groult la chambre de l’ambassadrice et Pierre Chareau le bureau-bibliothèque (ci-dessous).
Ce meuble est certainement l’un des chefs d’œuvre de l’Art Déco, tout en courbes et contrecourbes. Avec son épouse Nicole Poiret, couturière de mode et sœur du couturier Paul Poiret, André Groult a eu deux filles : Flora Groult, qui a conçu des couverts pour la maison Christofle, et Benoîte Groult, la romancière et militante féministe, dont Marie Laurencin fut la marraine..
Outre le Pavillon de l’Hôtel du Collectionneur (voir mon article sur Ruhlmann - Art Déco 1 sur 3), ce pavillon de la Société des Artistes Décorateurs (SAD), l’Ambassade française, fut l’autre pavillon vedette de l’expo de 1925 (voir mon article sur l’expo de 1925 - Art Déco 3 sur 3). L’expo du Musée des Arts Décoratifs en 2025 présente le bureau-bibliothèque de l’ambassadeur, créé par l’architecte décorateur Pierre Chareau, reconstitué pour l’occasion, un autre sommet de l’Art Déco.
Pierre Chareau a également réalisé le pavillon du golf de Beauvallon, près de Sainte-Maxime (83), en 1927.
Au milieu, ci-dessous, le superbe bureau en placage de palissandre, acajou et acier. Très fort dans les bois foncés, le Pierre Chareau !
L’Art Déco, style du luxe, a entrainé une pensée différente dans la conception des intérieurs français, du sol au plafond, avec des éléments décoratifs nouveaux. Il s’est rapidement développé dans de nombreux domaines, et pas seulement l’architecture et le mobilier :
⁃ La mode : Madeleine Vionnet, Coco Chanel, Sonia Delaunay…
⁃ Le cinéma : l’architecte Robert Mallet-Stevens (voir mon article sur la villa Cavrois) affirme lors d’une conférence que « le cinéma fait et fera l’éducation des foules en matière artistique. » Pour Marcel Lherbier, il réalise en 1924 les décors Art Déco de son film L’Inhumaine.
⁃ Les objets du quotidien aux USA, où l’Art Déco évolue vers le Streamline , littéralement “cours du ruisseau” (le courant naturel d’un fluide), un mouvement esthétique américain des années 1930 directement issu de l’aérodynamique, c’est-à-dire l’étude de la résistance à l’air ou à l’eau des objets en déplacement. On voyage par le chemin de fer, la route, et désormais les airs. On retrouve ce style dans les immeubles de Miami Beach, les locomotives, les bus ou bien encore les grille-pains de l’époque… Cette influence des paquebots transatlantiques se retrouve en France, dans le même esprit que le Streamline américain, dans ce que l’on appelle le style paquebot.
⁃ La sculpture, qui aujourd’hui encore fait le bonheur des collectionneurs : Chiparus (les belles danseuses), Max Le Verrier (mon chouchou), les frères Jan et Joël Martel (très cubistes), François Pompon (les animaux)…
⁃ Le voyage, avec l’Orient-Express et les paquebots français Ile-de-France et Normandie, conçus comme de véritables “ambassades flottantes” du goût français. L’Ile-de-France, cher à Béatrice de Rothschild (voir mon article à son sujet), était d’un luxe inouï : mobilier de Jacques-Émille Ruhlmann et Jules Leleu, panneaux laqués de Jean Dunand, panneaux de verre de René Lalique, peintures de Jean Dupas, etc.
⁃ Last but not least, la joaillerie Art Déco reflète cette époque de créativité, notamment chez Cartier, Boucheron et Van Cleef & Arpels. Les créateurs s’inspirent des Ballets Russes, de l’Égypte antique (depuis la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922), de l’Inde et de la Chine. On oppose le noir au blanc, le platine devient une alternative à l’or et les compositions sont très graphiques, très élégantes.
Une pendule de Cartier, et pas n’importe laquelle ! Réalisée par l’orfèvre Maurice Couët en 1927, jade blanc sculpté de Chine, onyx, diamants, émeraudes, corail, nacre, or, émail. À l’exposition de 1925, la maison Cartier exposait ses créations dans le Pavillon de l’Élégance. En 1935, Cartier ouvrait une succursale à Monte-Carlo (Hôtel de Paris), et en 1938 une autre boutique, sur la Croisette à Cannes.
Le point de vue du guide-conférencier : Le style Art Déco a été utilisé par la IIIème République pour faire rayonner la France, dans les ambassades de France (Ottawa, Belgrade, Ankara) et les paquebots transatlantiques (Ile-de-France, Normandie). L’engouement pour l’Art Déco a pris fin avec la défaite de 1940 et le style a perdu toute considération jusqu’aux années 1960, époque où apparaît le terme Art Déco. Ce sont les antiquaires et galeristes qui ont réussi à remettre à l’honneur les grands créateurs de l’entre-deux-guerres.
De nos jours, l’Art Déco, style intemporel, est encore une grande source d’inspiration pour les créateurs. Et il y a des Art Deco Societies dans de nombreux pays. Le 17e Art Deco World Congress s’est déroulé récemment à Paris (octobre 2025).
Je conseille aux amateurs d‘Art Déco le Musée des Années 1930 à Boulogne-Billancourt pour la richesse de ses collections. Créé en 1998, à une époque où les institutions officielles ne mettaient pas l‘Art Déco à l’honneur, sa visite vaut vraiment le détour…
Quatre chevaux (1935), laque, par Jean Dunand, Musée André Malraux, Le Havre. J’ai pris cette photo en 2019 au Musée des Années 1930 de Boulogne-Billancourt, qui consacrait une exposition temporaire au paquebot Ile-de-France. Ce panneau de laque fait partie d’une série de cinq panneaux réalisés pour le fumoir du paquebot Normandie.
Crédit-Photos : Philippe Borsarelli (sauf mention contraire).