Un monogramme à la réputation planétaire inspiré de carreaux de cuisine ?
Anchay. C’est le nom d’un hameau dans le Jura, où naît Louis en 1821. Situé à environ 40 km au nord-est de Bourg-en-Bresse, dans la Commune actuelle de Saint-Hymetière-sur-Valouse.
Son père est meunier. Avec ses frères et sœurs, Louis participe aux travaux de ferme.
Leur maman décède quand Louis n’a que dix ans. Le papa se remarie. Sa seconde épouse met au monde trois garçons, qui meurent en bas âge. L’ambiance familiale entre Louis et sa belle-mère est telle qu’il décide de quitter le foyer. Il a quatorze ans et ne sait ni lire ni écrire. Pendant deux ans, seul, avec son baluchon, à pied, il vit de petits boulots en Bourgogne, Champagne, Alsace, avant d’arriver à Paris en 1837.
Rue St-Honoré, il se fait embaucher chez un layetier emballeur, M. Maréchal, qui lui apprend, 13 heures par jour, contre le gîte et le couvert, la fabrication de malles, et de coffres, destinés à contenir les effets personnels des voyageurs. Louis apprend à lire et à écrire.
C’est l’époque où les voyages se développent. Pour trimballer ses collections d’objets d’art d’une résidence impériale à une autre, l’Impératrice Eugénie confie à la maison Maréchal le soin de lui fabriquer les malles nécessaires. Elle ne jure que par Louis !
En 1854, Louis a 33 ans. Il épouse Émilie et décide de se mettre à son compte, dans le Paris dont Haussmann a commencé la métamorphose, rue neuve des Capucines, non loin de la Madeleine. Il réfléchit à des malles différentes de celles proposées sur le marché. Des malles dont le dessus est bombé, pour qu’elles résistent aux intempéries: l’eau s’écoule bien et ne stagne pas, comme sur une malle à dessus plat.
Puis il réalise que les malles à dessus plat sont plus faciles à empiler en plus grand nombre. Mais comment faire pour l’étanchéité ? Il va créer une toile imputrescible …
En 1857, il s’installe à Asnières, où il développe de nouvelles malles en cuir, étanches, avec des écoinçons en cuivre aux angles. Grâce au chemin de fer, il reste proche de Paris, et le bois de peuplier nécessaire à la fabrication des malles arrive directement par la Seine toute proche.
En 1867, Louis a un stand à l’exposition universelle de Paris. Parmi ses clients, l’égyptologue Auguste Mariette, qui le conseille pour l’organisation du voyage de l’Impératrice à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez, en 1869. Eugénie part pour le Moyen-Orient avec 62 malles de Louis !
En 1872, Certaines malles sont rayées de rouge et de marron, très reconnaissables.
Georges, le fils de Louis, s’occupe du nouveau magasin rue Scribe, face au Grand Hôtel. Louis fait construire à Asnières deux maisons, une pour Émilie et lui, une pour Joséphine et Georges, qui ont trois fils, dont Gaston-Louis.
Louis invente une toile à damier marron et vieil or. Succès immédiat. Sir Thomas Lipton lui commande cinq malles pour son yacht.
En 1892, Louis réussit à achever le catalogue complet de tous les objets créés depuis 1854, pour que les générations futures aient toutes les références. Une véritable bible dans laquelle tout est consigné. Il meurt un an plus tard.
C’est son fils Georges qui crée la toile monogramme, un ensemble étonnant : les initiales de son père, des losanges, des fleurs quadrilobées, et des cercles. S’est-il inspiré de fleurs dans l’art japonais ? Des travaux de Viollet-Le-Duc, auxquels il s’intéressait ? Ou bien des trèfles à quatre feuilles dans les arcatures du Palais des Doges à Venise ? Plus vraisemblablement, dit-on, des carreaux de leur cuisine à Asnières, en faïence de Gien … il dépose le dessin en 1897.
Au début, les clients préfèrent la toile à damier. Pourquoi avoir les initiales de quelqu’un d’autre sur son bagage ? Même s’il s’agit de celles du fondateur de la marque ?
En 1900, à l’exposition universelle de Paris, c’est le succès pour cette nouvelle toile, monogrammée, qui va être connue dans le monde entier. Cette toile est tissée sur un métier Jacquard, avec des fils de lin de deux tons, l’un écru et l’autre terre de Sienne. Son séchage est long.
En 1902, c’est l’arrivée du Pegamoïd, une résine spéciale, qui imite le cuir, rend la toile souple et élastique, et qui est bien moins coûteuse que l’ancienne toile tissée. Désormais, la toile dépourvue de motifs est enduite avant de recevoir le décor, imprimé au pochoir en jaune-beige sur un fond marron. Cette technique va perdurer jusqu’en 1959. Avec cette nouvelle toile, et un travail acharné, Georges donne une dimension internationale à la marque.
Après son décès en 1936, son fils Gaston-Louis continue l’aventure. Pendant la guerre, la famille vit dans son immeuble niçois et y ouvre un magasin.
En 1959, le fils de Gaston-Louis, Claude-Louis, découvre que le PVC, étanche, peut être utilisé sur une toile de coton : c’est la naissance des sacs de voyage et à main souples, qui vont se vendre comme des petits pains, encore de nos jours, car cette toile est très résistante. Désormais, les valises rigides et les malles ne sont plus les articles les plus vendus : de la maroquinerie classique, on passe à une marque mondiale, qui va se diversifier.
En 1970, Odile, la fille de Gaston-Louis, prend les rênes de l’entreprise, puis sept ans plus tard c’est au tour de son mari, Henry Racamier. D’une PME de 70 personnes avec seulement deux magasins en France (Paris et Nice), Henry va ouvrir cent boutiques dans le monde et développer la société, qui rachète Veuve Clicquot et Givenchy, avant de se rapprocher d’un autre groupe de l’industrie du luxe, Moët-Hennessy.
1987 : le groupe LVMH est né. De nos jours, des descendants de Louis (6ème génération) travaillent encore dans la maison.
Louis a créé le bagage de luxe, celui que l’on remarque et que l’on aimerait posséder. Il a créé une marque qui fascine toutes les couches de la société, certainement un cas unique dans l’histoire du luxe.
Ce grand gaillard d’ 1,90m, parti à pied de son Jura natal à quatorze ans, sans savoir ni lire ni écrire, s’appelait Louis Vuitton.
Je conseille le livre de Yann Kerlau, Les Dynasties du Luxe, © Perrin 2010, dont je me suis inspiré pour cet article.